22.4.12

Je découvre... #3




Suite de cet article.



2010 : Le renouveau des années 1990.

Difficile d'évoquer un retour aux sources sans parler d'Al'Tarba. Le beatmaker toulousain particulièrement actif depuis la fin des années 2000 a su produire parmi les meilleures chansons de ces trois dernières années, notamment avec Nekfeu ou Hugo Boss. Ici, on va parler de « Majeur & Vacciné » de Swift Guad, parce que la production est tout simplement géniale, bien noire, bien sale. Sur ce morceau, on retrouve l'ambiance du début des années 1990, c'est récurrent du son actuel au niveau du rap français, une sorte de retour aux sources. Al'Tarba a sorti un album « Lullabies For Insomniacs » en 2011 où on se rend compte du talent de beatmaker qu'il a, encore une fois pour tous ceux qui soutiennent que les gens de hip-hop ne sont pas des musiciens.


On continue dans les samples de musique classique avec ces deux lyonnais, Maux2Passe qui sortent « Sur Une Autre Planète » en 2010. Heureusement pour nous, ils sont bel et bien sur Terre. Ils n'ont même pas 500 fans sur Facebook alors que cet album est un des meilleurs albums de rap depuis cinq ans. La punchline facile, et les reflexions intelligentes, chaque chanson est ultra-travaillée, ce qui donne un résultat plus que satisfaisant. « Il est préférable d'avoir des comptes en Suisse, que des contencieux ». « Le public, qui kiffe les pubis sur les publicités alors à l'infini je façonne mes idées, comme un ouvrier d'Arcelor harcelé par son supérieur ». Bref, excellent.


On ne peut pas ne pas en parler, ils ont fait le buzz et ont contribué à redorer un peu la réputation du rap français chez les jeunes avec leur style cool/tranquille (un peu trop travaillé à mon goût), les membres de 1995 commencent à se payer une bonne part de succès dans le milieu. Avec « Dans ta Réssoi », Nekfeu va littéralement éclater, et son air de beau-gosse va immédiatement le placer comme idole des jeunes filles. La résultante étant qu'il naît évidemment parmi le public d'habitués une réticence à l'égard de ce jeune crew, surtout après que Sneazzy West eût signé chez Banlieue Sale (La Fouine, Canardo...). Pourtant, on oublie un peu vite le « La Main sur le Mic » de Nekfeu, ou son disque avec son groupe : 5 Majeur. Et on ne peut pas dire le contraire, il existe de très bonnes chansons de 1995, c'est le cas de « Laisser une Empreinte » magnifiquement produit par Juliano.


Attention, préparez vos oreilles, la chanson qui suit est d'une qualité impressionnante. L'affaire est un association (futur label) de rappeurs aux alentours de Paris avec notamment Mothas la Mascarade ou BPM. Leur première mixtape est sortie en 2011 et elle est plutôt inégale d'après moi. L'ensemble est pas mal, mais une chanson sort du lot de façon très nette. « 6 MC's » présente bien chaque membre du groupe. Mon coup de cœur va directement à Tonio Mc, le deuxième qui rappe, qui est pour moi actuellement le rappeur le plus prometteur, malgré le fait qu'il ait fait très peu de chansons. Il est aussi membre de Naïad, on va rapidement en entendre parler. Il a une voix particulière, si vous regardez le clip, vous verrez qu'il a une bonne gueule digne des années 1990 un peu Kool Shen-like. Je mise beaucoup sur lui dans les années qui viennent pour représenter le rap en France.


Si le hip-hop fait un grand retour ces dernières années, c'est notamment grâce aux beatmakers qui ont su s'éloigner des productions commerciales pour revenir à la source. Parmi eux, on peut citer Goomar qui signe ici la production de « J'me Casse » d'Ol'Kameez avec Gaïden. Le sample est choisi avec goût et se mélange parfaitement avec leurs voix. « C'est pas comme si j'avais des barbelés autour de mes espérances mais j'veux parsemer le doute dans vos têtes, chercher l’irrévérence. ». Qu'il est bon d'entendre encore en 2012 des morceaux travaillés, avec un sens. Goomar signe aussi la production de plusieurs autres morceaux sur l'album d'Ol'Kameez que je vous encourage donc à découvrir si ce n'est pas déjà fait.


Un autre beatmaker qui fait beaucoup parler de lui ces derniers mois avec la même recette : Noname. Il signe chaque production de sa compilation « Au Service Du Fond » qui réunit une bonne floppée des MC's du moment : Fayçal, 1995, Futur Proche... La qualité des productions est digne des années d'or du hip-hop français. J'aurais pu citer beaucoup des chansons présents sur cette compilation, mais autant en profiter pour parler en même temps de Mysa. Encore un rappeur qui ne déçoit jamais, toujours de bonnes choses à dire, et ce n'est pas ce morceau « Mal Pour Un Bien » qui nous prouvera le contraire. « Tu serres des mains poisseuses de gars haineux au pensées moites ».


Kyf fait parti des derniers petits rappeurs qui commencent à faire parler d'eux cette année. Son maxi quatre titres 24 Mètres carrés produit par Névro, qui passe parfois de l'autre côté du micro d'une belle manière aussi, est une belle promesse pour l'avenir. C'est aussi ce qui fait le charme de ce milieu, chaque jour on peut découvrir de nouveaux talents, il suffit d'écouter un peu ce que les MC's ont à dire. Sachant qu'en ce moment, les gens ont du mal à s'écouter et à se comprendre, le rap permet de rappeler ces valeurs tant oubliées. Dans le titre « 24 Mètres Carrés », Kyf délivre des paroles relativement sombre sur un beat qui l'est tout autant.


Avant de revenir sur le futur du hip-hop et sur toutes les tournures que prennent actuellement les beatmakers, un dernier morceau qui fait parti du revival du début des années 1990 : « Hip-hop affilié part II » de Losee Loss. La production (dont vous reconnaitrez obligatoirement l'air) est signée Sexan. J'en profite de ce morceau pour parler du featuring qui y participe : Walter. Ce MC a le don de trouver les perles du hip-hop, il a déjà fait des morceaux avec Nekfeu, L'Affaire, James Legalize... Sa voix est immédiatement reconnaissable car étant très sombre, il est habitué aux textes qui dénoncent. Cette chanson ne s'y prête pas car c'est plutôt une ode au hip-hop, un bon moyen de conclure cette rétrospective.


Et maintenant, le hip-hop ça va être quoi ?

Mais ce n'est pas fini. Avec le temps et la démocratisation, toute relative, du rap, on a vu des groupes mélanger les genres, entre humour, hip-hop, et chansons d'un autre genre, c'est le cas des Stupeflip. Vous connaissez probablement « Depuis qu'Je Fume Plus d'Shit », mais le groupe est revenu en 2011 avec un album « The Hypnoflip Invasion » qui est un extra-ordinaire mélange de genre : des interludes humoristiques, de faux hymnes dance (« Gaëlle »), une lettre ouverte à Mylène Farmer. Ils sont totalement en marge du milieu hip-hop, pourtant certains morceaux sont excellents. En écoutant l'album, on voit tout de suite que ce groupe n'a rien à voir avec les productions dont on a déjà parlées, fini les samples de musique classique, fini les ambiances sombres, place à l'humour, certes noir, et à la joie de vivre lorsqu'on écoute l'ensemble de l'album.


Dans le même genre, on peut aussi parler du Klub des Loosers qui sont de retour cette année avec l'album « La Fin de l'Espèce ». Ce genre de groupe fait maintenant pleinement parti du mouvement hip-hop, alors que l'ambiance du disque est totalement différente des ambiances qui pouvaient être présentes dans les années 1990. Finalement, c'est un peu un courant qui ferait comme une sous-catégorie de rap français. Dans le même sac on pourrait mettre certains morceaux de TTC ou des Svinkels... Bref, la seule chose qui fait débat avec Klub des Loosers, ce n'est pas la qualité ou non des morceaux, c'est aimez-vous ou non la voix de Fuzati ?



Les samples next-generation.

Impossible que vous soyez passés à côté du tube « Opposite of Adults » de Chiddy Bang dont le beatmaker Xaphoon Jones a samplé l'enorme "Kids" de MGMT. C'est une tendance récente, au lieu de plonger dans le fond de la funk des années 1970, dans les musiques de films japonais, ou dans les morceaux classiques, pourquoi ne pas sampler des morceaux récents et mainstream ? Chiddy Bang s'est fait un nom en samplant entre-autres Yelle ou Passion Pit et ensuite ç'a été la déferlante, entre Wiz Khalifa avec Empire of The Sun, OnCue avec Feist, Chris Webby avec La Roux... Il fallait bien que le mouvement arrive en France. On a de très mauvais exemples qu'on ne fera que citer ici, genre La Fouine avec son sample d'Adele. Mais il existe de bonnes surprises, parmi elle, le jeune Wilow Amsgood qui sample Cry Me A River dans sa chanson « Dans Une Spirale ».



Dans la même veine, avec des samples de morceaux un peu moins récents, on peut parler de l'excellent beatmaker Basement Beatzz. Son projet « En Sous-Marin » avec les MC's Alpha Wann et Nekfeu contient des samples inhabituels car on ne s'attendrait pas à entendre quelqu'un rapper dessus. Le « Soul Bossa Nova » de Quincy Jones qui rend tellement honneur au générique d'Austin Powers, voit sur l'intro de ce projet Alpha Wann et Nekfeu poser un couplet, autant dire qu'on ne s'y attend pas.


Un événement va avoir lieu en 2012, c'est le retour de Disiz, le grand retour. Il s'est entouré des meilleurs pour son disque, et cela se voit quand on écoute les premiers extraits. Le morceau « Le poids d'un gravillon » ne sample rien d'autre que le tube de M83 « Midnight City », difficile de faire plus récent. Mais encore plus fort, le morceau « Shadow Boxing » sample l'excellent « Swim Good » de Frank Ocean, autant dire ce qu'il peut se faire de plus hype (si je puis dire) aujourd'hui, ou presque. Ce qui est cool, c'est que le flow de Disiz passe parfaitement bien dessus, ce qui n'est pas toujours le cas pour certains morceaux de Chris Webby ou Chiddy Bang, dont l'album est catastrophique soit dit en passant.


Pour conclure, on pourrait se demander quelle va être la prochaine étape au niveau des productions de hip-hop. Si l'on en croit les Etats-Unis, il y a deux courants très tendances en ce moment. D'un côté, on a les productions très brutes, presque trop amatrices, dont le chef de gondole est le clan OFWKTA dont font parti Tyler, the Creator, Hodgy Beats, Frank Ocean, etc. Certains MC's français comme Grems ou Odezenne (anciennement O2zen) peuvent se rapprocher de ce style là sur certains morceaux, mais ça reste trop faible comme initiative, à voir si dans les mois qui viennent un collectif va se faire remarquer de la même façon que OFWKTA l'a fait. L'autre grand courant, ce sont les productions très lourdes, sans sample vraiment reconnaissable, avec beaucoup d'effets sur les voix du MC, comme sur la mixtape LiveLoveA$AP d'A$AP Rocky. Il n'est pas rare que sa voix soit pitchée vers le bas de façon vraiment exagérée comme sur « Bass ». Je n'ai pas connaissance d'un MC français qui se dirige vers ce genre de hip-hop. Mais un fait amusant est qu'un beatmaker français a participé aux productions de la mixtape d'A$AP Rocky, il s'agit de Soulfein 3000.

En dehors des Etats-Unis, la principale origine du hip-hop est l'Asie est particulièrement le Japon avec en tête de file le très regretté Nujabes. L'ambiance de ce type de hip-hop est très particulière, assez atmosphérique, il suffit d'écouter Kondor, Tsunenori, ou Thomas Prime. On se croit directement en Asie. Malheureusement, la France semble bouder ce genre de son. Pourtant, je pense que c'est un bon moyen d'exploser, sachant qu'il y a très peu de morceaux dans le genre en France, ce serait immédiatement novateur et donc inspirateur de succès. Un bon exemple est ce que le beatmaker Dolor a fait au morceau Boulogne Tristesse de Zoxea. Il a utilisé une partie de la bande-son de Naruto (donc aux sonorités japonaises) et ça donne immédiatement au morceau une touche particulière.





En bref, je pense qu'il y a assez de lignes pour convaincre les plus réticents que le rap français fait bel et bien parti du milieu de la musique au même titre que les autres genres. Si jamais vous entendez encore quelqu'un autour de vous dire que le rap ce n'est pas de la musique, j'espère que vous saurez lui expliquer que Skyrock ne représente que la partie émergée de l'iceberg, une mauvaise partie qui plus est. Avec la nouvelle génération qui arrive, et les anciens qui sont toujours présents, il n'y a pas à douter que le rap français a encore de beaux jours devant lui, en tout cas, moi j'ai confiance.






Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire